Première traçabilité de l’occultation des signes corporels

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L’observation du corps prend trois chemins distincts dans l’antiquité gréco-romaine et ces trois chemins vont conditionner la sélection des signes corporels jusqu’à aujourd’hui, écartant de la voie de la connaissance de très nombreux d’entre eux.

La première mention traçable de l’attention portée aux signes corporels se trouve dans L’Odyssée, composée par Homère vers la fin du VIIIe siècle av. J.-C. La plus ancienne allusion est celle de l’éternuement qui s’avèrera être aussi le signe le plus répandu dans les sources littéraires. (1) Il est soit un signe heureux c’est ce qu’y voit Pénélope, soit la présence d’un dieu auquel il s’agit de traduire l’allégeance.  Cette origine est dite mantique. C’est l’observation des signes divinatoires, les dieux adressant par l’entremise de signes sur le corps, des présages.  Mélampous (III ème siècle av. J.-C) guérisseur en Thessalie rédige notamment deux traités de palmomancie montrant comment les tressautements du corps, palpitations, éternuements, bourdonnements d’oreille, sont le fait d’interventions surnaturelles (2).

L’autre forme de lecture des signes du corps est à l’origine du corpus médical et notamment du corpus hippocratique (IV ème siècle av J.C). Une première symptomatologie des stigmates du corps signes de maladies apparaît. La palmoscopie (Hérophile, III ème siècle av. J.-C.) recoupe le vif intérêt des médecins grecs pour l’étude du pouls. Il établit une distinction entre le pouls associé aux vaisseaux et au coeur, la palpitation le spasme et le tremblement, causés par les muscles et les nerfs. Même s’il ne reste plus grand chose de ce corpus de départ la voie médicale passe très tôt par l’observation des signaux du corps.

Parallèlement à ces deux voies, Isocrate, au IV siècle avat J.C souligne dans l’actio l’importance d’une gestuelle appropriée pour persuader l’auditoire. Aristote dans La rhétorique, rédigé vers 330 av. J.-C. reprendra pour les exposer les fondements de l’art oratoire. L’orateur renforçant l’argumentation par l’action du corps. Plus près de nous, Cicéron puis Quintilien (“de Institutione oratoria“) exprimeront toute l’importance de la gestuelle dans la communication oratoire et la persuasion. Le corps permet de faire briller l’argument. La croyance est objectivée de la possibilité d’instrumentaliser le corps pour lui faire adresser des messages efficaces.

L’observation du langage corporel se construit à travers trois filiations : Une filiation ésotérique, la plus ancienne, une filiation médicale et une filiation liée à la communication à partir de l’art oratoire.

Tous les signes corporels qui ne seront pas susceptibles de nourrir l’argumentaire d’une ces trois filiations seront éliminés, dans le sens où ils ne seront tout bonnement pas observés, pas vus. Ce découpage est à l’origine du développement d’une véritable cécité construite autour de l’occultation des signes dont la causalité, l’origine  n’est liée à aucune de ces trois traditions. Ces oublis traverseront le temps.

 

(1) Dasen, V. (2008). Le langage divinatoire du corps. Langages et métaphores du corps, 223-242.

(2) Fahd T., La divination arabe. Études religieuses sociologiques et folkloriques sur le milieu natif de l’Islam, Strasbourg, thèse de Lettres, 1966, p. 390-393 (les naevi) ; p. 397-402 (la palmoscopie).

(3) Rufus d’Éphèse, Synopsis de pulsibus (Daremberg Ch., Ruelle Ch. E., Rufus d’Éphèse, Paris, Imprimerie nationale, 1879 : Traité abrégé sur le pouls, p. 219-232, commenté p. 610-643).

 

 

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