La compréhension du langage corporel en lien avec les émotions pose plusieurs questions.
Ne pas faire dire à Darwin ce que Darwin ne dit pas
La première question c’est celle de la présentation de la théorie des émotions de base de Darwin. En fait, l’anthropologue anglais détaille de très nombreux états corporels, une trentaine en tout. Et c’est Paul Ekman qui nous impose une théorie de six émotions de base qui comporte des faiblesses méthodologiques importantes. Sans parler du protocole de validation très questionnable.
Parmi les points de remarque sur les”émotions de base”
– L’enfant connait très tôt au cours de son développement des émotions de gêne et de honte (Entre 1 et 2 ans). Or ces émotions apparues très tôt ne sont pas reconnues comme “émotions de base”. Pourquoi ? D’autant que :
– Un enfant ne fait pas de différence faciale entre la peur et la surprise avant 10 ans. Pourquoi distinguer ainsi deux “émotions de base” différentes ?
– Dans la réalité les déplacements faciaux fondant une même émotion ne sont pas toujours identiques. Les émotions sont trop outrées trop stéréotypées pour être utiles et constituer un socle autour de ces six états.
Mais surtout il convient d’installer une autre idée :
Nous sommes en permanence traversés par plusieurs états.
En permanence des états, pensées, ressentis, différents coexistent sur une surface faciale unique, le visage. Ce qui veut dire : que premièrement, une émotion est liée à la rencontre de plusieurs phénomènes. Et deuxièmement, des pensées différentes avec des temporalités différentes s’expriment en même temps. Au temps T, nous donnons un seul nom d’émotion à cette multiplicité de phénomènes qui jaillissent en permanence en même temps.
Décider d’autre part que les déplacements faciaux seraient le fait d’émotions est un parti-pris risqué. La tristesse et la fatigue par exemple sont quasiment toujours confondues sur les images simplement parce que dans les deux cas les traits on tendance à tomber. La concentration et la colère sont également confondues. En fait dans ces deux cas, les gens occultent l’état physique ou l’état cognitif pour coller un nom d’émotion sur ces visages.
Il suffit d’ailleurs que nous montrions des déplacements des yeux différents sur les mêmes images pour que les personnes fassent d’autres interprétations. Que l’émotion soit décrite comme plus positive si les yeux partent vers le haut, avec les mêmes déplacements de traits par ailleurs suivant il y a un visage dans les yeux partent vers le sol.
Pourquoi la théorie de émotions de base à-t-elle eu tant de succès ?
Si la théorie des émotions de base a eu tant de succès ce n’est pas en raison de sa scientificité manifeste, c’est qu’elle est :
Facile à comprendre
Facile à enseigner
Et donc facile à propager
Mais elle n’est pas juste et elle n’est pas défendable sur le plan des validations empiriques.
L’universalisme était une rupture paradigmatique fondamentale. L’identification de certains stéréotypes communs à l’Homme et l’animal est de ce point de vue là une avancée formidable. Maintenant, pour mieux comprendre nos interactions humaines, il s’agit de convenir qu’en mettant en avant les stéréotypes de quelques réactions corporelles, nous faisons d’une exception la règle.
Il est l’heure de faire de la pluridisciplinarité, et puisque les émotions sont de l’ordre du langage corporel, utiliser les réflexions issues des sciences du langage . Il est temps aussi de se débarrasser grâce aux neurosciences d’un certain nombre de croyances qui à ce stade de la réflexion nuisent à une vision globale de la compréhension du langage corporel humain.
NB : Pour les personnes qui pensaient que la théorie Synergologique était de type universaliste, vous venez de vous rendre compte que les critiques synergologiques liées au langage corporel sont des critiques socio-constructivistes. (1)
Éléments bibliographiques
(1) Turchet, Ph. Le grand Livre de la Synergologie, Ed de l’Homme, 2022