Il suffit que l’on dise « langage du corps » pour que le public comprenne lui « langage des émotions ». Or les expressions ne sont pas synonymiques. Le langage du corps présenté comme un langage émotionnel, c’est en réalité un cliché. Le langage corporel est bien autant et même davantage un langage cognitif.
Attention à ne pas universaliser trop vite les émotions
L’erreur souvent commise est de penser à la suite de Darwin que les émotions sont liées à des expressions universelles. La théorie sur le langage corporel serait alors une théorie universaliste, mais ce n’est pas le cas. En fait les émotions sont d’abord des mots d’émotion (joie, tristesse, peur…), pas des expressions corporelles, simplement des mots. Certains de ces mots n’ont d’équivalence dans aucune une autre langue. Pensons à la solitude à deux des allemands, la zweisamkeit; le pressentiment de l’amour des japonais, koi no yokan. La forme de mélancolie particulière décrite par les portugais, La saudade. Le kilig philippin, à la fois excitation romantique et hormonale qui s’empare de celui qui est face à l’être aimé. La schadenfreude allemande, forme de joie née du malheur de l’autre qui s’empare de celui qui voit chuter celui qui était juste plus fort, ou plus puissant, ou plus populaire, ou plus… que lui (1). Dans toutes ces situations comment se comporte celui qui ne comprend pas l’état parce sa société n’en connait pas l’expression verbale. Peut-il encore reconnaitre cet état chez l’autre (?!) Celui qui est d’humeur atrabilaire peut-il encore percevoir son humeur atrabilaire s’il ne sait pas ce que cela signifie ?
Attention à ne pas uniformiser trop vite les déplacements faciaux
Un autre problème se pose, derrière une autre idée reçue. Celui qui voudrait que le faciès exprime toujours de la même manière des émotions primaires “universelles”. Ce serait faire du stéréotype l’expression de la vérité. C’est la voie proposée par Paul Ekman. Or il faut se rendre à l’évidence que la construction sociale oblige à plus de complexité. La même émotion semble en effet pouvoir être parfois exprimée par deux personnes à partir de déplacements faciaux différents. Parler d’expressions universelles, c’est aller bien vite en besogne. Et s’il s’avérait que c’est vrai d’un tout petit nombre d’expressions faciales liées à des émotions extrêmes, identifiables par tous, ce serait bien mal rendre compte du langage corporel dans les situations de la vie quotidienne. Rachael Jack émet cette critique dans le champ même du courant universaliste.
L’intérêt de cet onglet est d’éclaircir ces questions, faire sa place juste aussi au courant constructiviste dont les réflexions décapantes semblent plus solides, plus facilement validées aussi. Elles permettent en outre de se débarrasser de quelques clichés.
Cet état des lieux effectué, il sera l’heure de parler du regard synergologique sur les émotions et poser quelques questions qui pourraient permettre de lever certains biais jamais repérés encore.
Éléments bibliographiques
Abiateci Jean, Le dico des mots extraordinaires, Bulletin, 2022, Ed, Papier Brouillon, France. 130 pages.