La démarche Synergologique a été utilisée par Philippe Turchet dans sa thèse de doctorat pour mettre en lumière un phénomène cognitif : La rupture de compréhension.
Les ruptures de compréhension sont le fait d’une personne qui ne comprend pas ce qui lui est dit. Dans ces moments-là elle a la particularité d’être silencieuse puisqu’elle écoute ce qu’elle ne comprend pas. Or comme le langage corporel est préverbal, la personne qui “décroche” devrait traduire par son langage corporel le fait qu’elle ne comprenne pas. C’était l’hypothèse de départ.
Une démarche en trois étapes
– Première étape : Il a d’abord fallu « stocker » des situations de ruptures de compréhension bien caractéristiques grâce au langage verbal.
Je ne comprends pas! ….Tu veux dire quoi avec ça ? ….Tu peux me réexpliquer ?… sont quelques-uns des exemples exploités. Ils étaient prononcés par la personne qui reprend la parole après avoir écouté le locuteur.
– Deuxième étape : Il s’est agi de repérer un ensemble répétitif de signes corporels aux alentours de la rupture de compréhension. Trois signes corporels récurrents différents ont été repérés. Un signe pathognomonique, c’est-à-dire n’apparaissant sous cette forme que dans les situations de rupture de compréhension a été identifié. Il s’agit d’une excentration Rapide et brève du regard (ERBR).
– Troisième étape : L’inversion d’inférence. C’est l’étape décisive de retour dans le corpus de 184112 mots (56 locuteurs, 13 nationalités). il s’est agi cette fois-ci de rechercher directement les signes corporels identifiés sans se soucier du verbal. Cette étape était nécessaire pour voir si d’autres ruptures de compréhension étaient repérables.
Conclusions
Dans les nouvelles situations repérées grâce au langage corporel seul, les personnes lorsqu’elles reprenaient la parole faisaient du “coq à l’âne”. En fait elles abordaient un autre sujet de discussion. Ce qui pouvait leur permettre de masquer leur rupture de compréhension en parlant d’autre chose.
Le traitement statistique a permis d’apporter d’autres réponses de type quantitatif. Lorsque la personne déclenche une ERBR (2), il y a 17 fois plus de chances que le phénomène soit lié à une rupture de compréhension qu’à un autre phénomène.
Les signes de rupture de compréhension, ont été observés sur cette base avec participants parlant les langues agglutinantes, isolantes et flexionnelles. Ce sont les systèmes linguistiques principaux dans le monde. l’ERBR semble donc être de type universel.
Nota bene
Il faut noter que ce travail était effectué sur l’émetteur silencieux (celui qui ne dit rien car au moment clé il écoute ce qu’il ne comprend pas. Il est donc mutique). C’était la première fois que dans un cadre académique, une thèse était réalisées sur des personnes silencieuses écoutant avant de reprendre la parole. Pour la première fois le langage corporel a été envisagé comme variable indépendante dans une thèse de doctorat. C’est peut-être un autre des signes de l’originalité de la démarche par rapport à toute perspective sur le non verbal.
Ce qui est drôle c’est que c’est la première fois que ce genre d’étude était fait alors même qu’absolument toutes interactions de chacun partout dans le monde passent par ce type de situation. …
Annotations bibliographiques
(1) Turchet, Ph. (2017). Ruptures de compréhension dialogique à partir d’indices corporels. Élaboration d’une grille de signes mimogestuels en contexte interculturel exolingue, Thèse de doctorat en Sciences du langage sous la dir. de Ch. Parisse et A. Jacquet-Andrieu. [Paris] : Université Paris Nanterre.
(2) Turchet, Ph (2020) Le langage corporel est d’abord lié à la pensée, enacté, Exemple des ruptures de compréhension, Revue de Synergologie, Vol 3, 1 pp 9-36.