A. Damasio : Utiliser des marqueurs somatiques

Jusqu’à la fin du XXème siècle grâce à l’apport de Darwin, les émotions étaient surtout considérées comme un instrument efficace de communication permettant de lutter pour la survie.  Incrémentées dans le corps que l’on regarde elles vont devenir des indices plus précieux encore grâce à plusieurs travaux dont ceux d’Antonio Damasio. Le neurologue envisage une autre de leurs facettes, celui de leur rôle dans les prises de décisions rationnelles.

Ses premières réflexions naissent de l’observation du cerveau de  Phinéas Gage un chef de chantier, dont l’encéphale a été conservé après sa mort, en 1860.

 

De Phinéas Gage, le miraculé…

Phinéas Gage avait subi une lésion amygdalienne lors d’un accident de travail duquel il sortit miraculeusement vivant (1848).  Une barre de métal lui ayant traversé le cerveau de part en part (Cf infra).

Ses collègues rapportent que l’accident  qui avait endommagé des zones dites émotionnelles de son cerveau avaient changé la personnalité de Phinéas.  Revenu de son coma, impulsif, indiscipliné, il était devenumoins apte à organiser le travail de ses collaborateurs. Les émotions semblaient donc avoir être l’élément clé de l’altération de son jugement affectant la prise de décision … rationnelle.

 

…à la théorie des marqueurs somatiques

Pour lui, et c’est le fondement de sa théorie des marqueurs somatiques, nos sensations corporelles (fréquence cardiaque, pression artérielle, transpiration…) sont les signaux qui guident nos décisions vers ce qui est perçu, comme le meilleur choix pour notre bien-être. Nos réactions sont nourries par nos expériences passées auxquelles nous associons les émotions positives ou négatives qui les ont accompagnées. Ces marqueurs guident nos décisions. Leur rappel influencera tous nos processus décisionnels futurs.

Ainsi, contre le sens commun, le neurobiologiste suggère que la raison et l’émotion ne s’opposent pas mais participent ensemble à la prise de décision. Nos émotions qui sont lisibles et s’incrémentent sur le corps que l’on regarde prendre ses décisions gagnent en grade et leur observation fine devient plus stratégique qu’on le pensait jusque-là.

 

Il faut partir du corps pour comprendre

Ce scientifique à la reconnaissance académique immense, choisit de partir du corps plutôt que du cerveau pour envisager les marqueurs somatiques, ce qui est convenons-en, plutôt rare de la part d’un neurologue. Il faut dire que sa pensée, de L’Erreur de Descartes (1994) à L’Ordre étrange des choses (2017) a beaucoup évolué. Il n’hésite d’ailleurs pas à déclarer sur France Culture en 2017 que “le cerveau ce n’est peut-être pas si important”…

Pour lui reprenant en cela une littérature de plus en plus fournie et rigoureuse, des neurones présents dans les intestins, émettent des messages en direction du cerveau.  Un “cerveau entérique” influence notre communication en envoyant leurs messages à destination du psychisme depuis les intestins en utilisant le canal du  nerf vague. L’émotion n’est donc qu’une réponse aux premiers messages adressés par le corps depuis ce qu’on appelle le cerveau entérique.

Antonio Damasio  décrit :

« Lorsqu’un être vivant se comporte intelligemment et avec assurance en société, nous partons du principe que ce comportement résulte à la fois d’une capacité d’anticipation et de réflexion, et de mécanismes complexes, et que cette capacité et ces mécanismes s’appuient sur le système nerveux. Or, il apparaît désormais clairement que de tels comportements auraient pu naître chez de simples cellules isolées (bactéries) dès l’aube de la biosphère. C’est là un des faits les plus étranges, et le mot est faible » 1.

Une perspective sérieuse propose d’envisager l’être humain comme un holobionte, c’est-à-dire un écosystème complexe composé de son propre organisme, et d’une multitude de micro-organismes symbiotiques jouant un rôle essentiel dans de nombreuses fonctions vitales, y compris la régulation de l’humeur et du comportement.

Dans ce contexte, le langage corporel humain n’est plus le langage d’un être humain dont le cerveau pilote le comportement consciemment. Regarder le corps renseigne autant et plus sur l’activité du cerveau qu’attendre que le cerveau donne ses ordres au corps. Le principe de l’embodiment permet de penser ces deux principes conjointement.

 

Éléments bibliographiques

(1) Bechara A., Damasio, H., Damasio, A.R.; Lee, G.P. (1999) : Different contributions of the human amygdala and ventromédial prefrontal cortex to decision-making. The Journal of Neuroscience, 19, 5473-5481.

(2) Damasio, A. (2017) : L’ordre étrange des choses, Odile Jacob.

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